L’employeur face à la réintégration d’un salarié protégé soupçonné de harcèlement sexuel

Ce qu'il faut retenir :
  • Statut protecteur vs. obligation de sécurité : Même si le salarié protégé bénéficie d’un droit à réintégration, l’employeur peut invoquer son devoir de prévenir le harcèlement sexuel pour s’y opposer, si un risque sérieux est établi.
  • Critères de justification : Le refus de réintégration doit reposer sur des témoignages ou éléments concrets, soulignant une menace réelle pour la dignité ou la santé des autres salariés. L’employeur ne peut se contenter de suspicions vagues.
  • Contrôle rigoureux du juge : Les tribunaux apprécient la crédibilité du risque et la proportionnalité de la mesure. Si l’employeur ne prouve pas une atteinte plausible à la sécurité, la réintégration demeure la règle.

Les conflits relatifs au salarié protégé soulèvent toujours des problématiques sensibles, en particulier lorsque se greffent des accusations de harcèlement sexuel. La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 8 janvier 2025 (n° 23-12.574), a ouvert la possibilité pour l’employeur de refuser la réintégration d’un représentant du personnel si l’obligation de sécurité lui impose de prévenir un risque réel de dérives à connotation sexuelle. Ce texte vise à clarifier la portée de cette évolution jurisprudentielle et à expliquer les conditions dans lesquelles la protection renforcée du mandat représentatif peut céder face au devoir de protéger la santé physique et psychologique des autres salariés.

Le cadre général : protection du salarié protégé et prévention du harcèlement sexuel

Statut protecteur du représentant du personnel

Le salarié protégé bénéficie d’un régime dérogatoire qui impose à l’employeur de solliciter l’autorisation de l’inspecteur du travail avant tout licenciement, conformément à l’article [[L2411-1 du code du travail]]. Ce mécanisme veille à ce que l’exercice d’un mandat syndical ou d’une fonction représentative ne soit pas sanctionné ou entravé de manière injustifiée. En principe, si l’autorisation de licenciement est refusée ou si la procédure de rupture se révèle irrégulière, le salarié protégé peut exiger sa réintégration dans son poste ou dans un emploi équivalent.

Obligation de sécurité et harcèlement sexuel

Parallèlement, l’article [[L4121-1 du code du travail]] impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité des salariés, ce qui inclut la lutte contre le harcèlement sexuel. L’article [[L1153-5 du code du travail]] indique que l’employeur doit prévenir, faire cesser et sanctionner les comportements de nature à porter atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou morale. Cette règle s’applique à tout salarié, quelles que soient ses fonctions ou son mandat.

Nouvelle approche de la Cour de cassation : la confrontation entre salarié protégé et harcèlement sexuel

L’arrêt du 8 janvier 2025 : faits et enjeux

Dans l’affaire jugée le 8 janvier 2025, un salarié protégé (délégué syndical, membre du CSE ou autre mandat) avait fait l’objet d’accusations de harcèlement sexuel de la part de collègues. L’inspecteur du travail, saisi d’une demande d’autorisation de licenciement, avait émis un refus, estimant que les éléments n’étaient pas assez démonstratifs d’un motif licite de rupture. Malgré l’absence d’autorisation, l’employeur persistait à écarter le salarié protégé, invoquant l’obligation de sécurité pour légitimer la non-réintégration.

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L’apport jurisprudentiel

La chambre sociale de la Cour de cassation a cassé la décision de la cour d’appel, qui s’était focalisée sur la qualification pénale de harcèlement. Selon la Haute Juridiction, le refus de réintégration peut se justifier si l’employeur apporte la preuve d’un risque concret de harcèlement sexuel, au regard de son obligation de prévention. Le caractère pénal, ou non, des actes n’est pas seul déterminant. Il importe surtout de savoir si la remise en poste du salarié menace la sécurité ou la dignité d’autres personnes dans l’entreprise.

Les principes directeurs pour l’employeur

Justifier un risque sérieux

La simple évocation de tensions ne saurait suffire. L’employeur qui entend refuser la réintégration du salarié protégé doit :

  • Présenter des témoignages précis ou des preuves tangibles des faits reprochés ;
  • Expliquer la corrélation avec l’obligation de sécurité et l’impact potentiel sur les victimes ou l’équipe ;
  • Montrer qu’il n’existe pas de solution alternative (mutation interne, mesures d’éloignement suffisantes).

Assurer la proportionnalité de la mesure

Le contrôle du juge se porte également sur la proportionnalité de ce refus. Si l’employeur pouvait prendre d’autres dispositions – comme une surveillance accrue ou une modification de poste, dès lors que le salarié ne serait plus en contact direct avec les victimes présumées – il doit le justifier. À défaut, la non-réintégration risque d’apparaître comme un prétexte déguisé pour évincer un représentant du personnel, ce qui demeurerait illicite.

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Les conséquences pour le salarié protégé accusé de harcèlement sexuel

Maintien de la protection, même en cas de litige

Le statut de salarié protégé ne disparaît pas du fait d’accusations de harcèlement sexuel. Tant que l’inspecteur du travail n’a pas autorisé le licenciement, la rupture demeure en principe nulle. Toutefois, l’arrêt du 8 janvier 2025 révèle que la réintégration automatique peut être mise en échec si la sécurité de tiers est en jeu. Cette marge accordée à l’employeur se heurte cependant à la nécessité de prouver, de manière objective, la réalité du risque et l’insuffisance des autres moyens de prévention.

Droit de contestation

Le salarié, s’il estime la décision abusive, conserve le droit de saisir la juridiction prud’homale ou administrative. Il peut faire valoir l’absence de preuve tangible, l’exagération des propos, ou encore le fait que l’employeur n’a pris aucune mesure intermédiaire pour aménager le poste. Dans un tel litige, la position de la Cour de cassation invite les juges à mener une analyse approfondie des pièces produites et du contexte, afin de distinguer la crainte d’un risque réel de harcèlement d’une simple volonté de sanctionner le mandat protecteur.

La place de l’inspecteur du travail après le refus de réintégration

Le rôle persistant de l’autorité administrative

Même si la Cour de cassation admet la possibilité de ne pas réintégrer un salarié protégé soupçonné de harcèlement sexuel, cette logique n’exonère pas l’employeur d’obtenir (ou de solliciter à nouveau) l’autorisation de licenciement. L’obligation de sécurité ne saurait suffire à rompre définitivement le contrat de travail en l’absence d’autorisation administrative ou de décision juridictionnelle validant la rupture.

Contrôle a posteriori

De plus, la pratique montre que l’autorité administrative reste susceptible de contrôler la situation a posteriori. Si l’employeur choisit de maintenir le salarié à l’écart, il doit justifier cette décision. L’inspecteur du travail pourrait l’interroger sur les mesures alternatives ou la gravité des faits. En cas de doute, un litige supplémentaire peut s’ouvrir devant les juridictions compétentes, aussi bien pour contester la légitimité du maintien hors de l’entreprise que pour autoriser in fine le licenciement pour faute, si les éléments s’avèrent suffisants.

Comparaison avec d’autres hypothèses justifiant la non-réintégration

La doctrine de l’« impossibilité » matérielle

Avant l’arrêt du 8 janvier 2025, la jurisprudence distinguait déjà certains cas d’impossibilité absolue de réintégration, tels que la fermeture de l’établissement ou la disparition du poste, reconnues comme des causes étrangères annulant l’obligation de replacer le salarié protégé. Dans l’affaire présente, la Cour de cassation ne mentionne pas à proprement parler une « impossibilité » totale, mais elle souligne que l’employeur se conforme à sa mission légale de sécurité en refusant la réintégration, dès lors qu’il craint un risque concret de harcèlement sexuel.

Extinction de la réintégration en cas de rupture déjà actée

Par ailleurs, lorsque le salarié a pris acte de la rupture ou qu’une résiliation judiciaire est prononcée, la Cour de cassation a déjà considéré que la réintégration ne pouvait plus être imposée. L’affaire ici concerne plutôt l’hypothèse où le salarié protégé demeure officiellement en lien avec l’entreprise, mais en est tenu à l’écart suite au refus d’autorisation administrative de licenciement. C’est dans ce contexte que la question de l’obligation de sécurité s’impose au premier plan.

Conclusion : une conciliation délicate entre protection et sécurité

La solution adoptée par la Cour de cassation le 8 janvier 2025 illustre la volonté d’éviter qu’un salarié protégé, accusé de harcèlement sexuel, ne soit réintégré contre l’avis de l’employeur si la situation laisse craindre une atteinte possible à l’intégrité d’autres salariés. L’employeur doit néanmoins se prémunir d’éventuels abus en fournissant un dossier circonstancié, sous peine de voir cette mesure jugée illicite et de s’exposer à des indemnités pour violation du statut protecteur. Cette évolution confirme le primat de l’article [[L4121-1 du code du travail]] et de l’article [[L1153-5]] sur la prévention des agissements répréhensibles dans l’entreprise.

Cependant, la solution retenue ne devrait pas servir de prétexte pour contourner la protection attachée au mandat représentatif. Les juridictions veilleront à exiger des preuves solides attestant la réalité du risque de harcèlement sexuel, ainsi que la proportionnalité de la décision de ne pas réintégrer le salarié. L’employeur se retrouve ainsi dans l’obligation de concilier deux impératifs légaux : préserver la liberté d’action du représentant du personnel et garantir la sécurité de l’environnement de travail. Si ces exigences se télescopent, c’est aux juges de fond qu’il appartient de trancher, en se fondant sur la réalité et la gravité des faits.