Changement des conditions de travail et refus du salarié : préavis et indemnités en question

La capacité pour un employeur d’adapter l’organisation interne de l’entreprise est au cœur de son pouvoir de direction. Toutefois, le salarié, titulaire d’un contrat de travail, peut légitimement se demander où s’arrête le simple changement de ses conditions de travail et où commence la modification du contrat nécessitant son accord. Cette distinction est capitale.

Récemment, la Cour de cassation (Soc., 23 octobre 2024, n° 22-22.917) a rappelé qu’un salarié refusant un changement non substantiel de ses conditions, sans motif légitime, commet une faute. Ce faisant, il s’expose à un licenciement et, s’il refuse également d’exécuter son préavis aux nouvelles conditions, il perd toute prétention à l’indemnité compensatrice de préavis. Même si la faute grave est écartée au profit d’une faute simple, le salarié ne saurait prétendre à cette indemnité lorsqu’il est responsable de l’inexécution du préavis.

Cet article examine, de manière pédagogique, les paramètres légaux et jurisprudentiels régissant la situation. Nous analyserons le cadre légal, la différence entre simple changement et modification contractuelle, le statut du refus, les conséquences sur les indemnités, ainsi que les bonnes pratiques pour éviter tout contentieux.

I. Comprendre le cadre juridique du changement de conditions de travail

Pouvoir de direction de l’employeur

L’employeur dispose d’un pouvoir de direction reconnu par le Code du travail (article L.1222-1 notamment). Il peut ajuster l’organisation, fixer des horaires dans la limite du contrat, répartir les tâches, ou encore déterminer le lieu d’exécution du travail, dès lors que celui-ci reste dans le même secteur géographique.

  • Ce pouvoir inclut :
    • Le choix des méthodes et outils de production
    • L’organisation interne des services
    • La détermination du lieu d’affectation, si ce lieu demeure proche de l’ancien site

Ce pouvoir s’exerce sans formalité particulière, pourvu que les éléments essentiels du contrat de travail (rémunération, qualification, durée du travail) ne soient pas altérés.

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Distinction entre modification du contrat et changement des conditions de travail

La frontière est subtile, mais d’une importance cruciale :

  • Modification du contrat : Affecte un élément essentiel (par exemple, une baisse de la rémunération, un changement significatif de la durée du travail, une remise en cause de la qualification). Elle nécessite l’accord du salarié.
  • Changement des conditions de travail : Concerne un ajustement raisonnable, comme un déplacement du lieu de travail à quelques kilomètres, l’ajustement d’un horaire dans la même amplitude, ou la réorganisation interne non substantielle. Dans ce cas, le salarié ne peut s’y opposer sans motif légitime.

Exemple jurisprudentiel

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser cette distinction. Par exemple, le simple transfert d’un médecin psychiatre à un autre site situé à 17 km, sans incidence sur le temps de travail ni la rémunération, constitue un changement de conditions de travail (Cass. soc., 3 mai 2006, n°04-41.880). Un tel déplacement, dans le même département, relève du pouvoir de direction.

conditions de travail du salarié

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II. Le refus injustifié du salarié et la notion de faute

Refuser un simple changement : une faute

Le Code du travail impose au salarié d’exécuter de bonne foi la prestation de travail. S’il refuse un changement relevant du pouvoir de l’employeur, sans justification, il commet une faute. La jurisprudence (Cass. soc., 10 octobre 2000, n°98-41.358) est constante : un refus infondé peut entraîner un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

  • Le salarié doit distinguer :
    • Changement de conditions (imposable)
    • Modification du contrat (accord nécessaire)

S’il se trompe de nature, il risque une sanction disciplinaire.

Faute simple vs faute grave

L’employeur, lésé par le refus, peut prononcer un licenciement. Il est libre de qualifier la faute :

  • Faute grave : Empêche le maintien du salarié dans l’entreprise. Le salarié quitte immédiatement l’entreprise, sans indemnités de préavis ni indemnité de licenciement.
  • Faute simple : Constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, mais n’empêche pas le salarié de bénéficier des indemnités de rupture légales ou conventionnelles.

Dans l’affaire du 23 octobre 2024, la Cour de cassation a requalifié la faute grave en faute simple. Le refus du salarié, s’il était fautif, ne présentait pas une gravité telle à justifier l’exclusion de toute indemnité de licenciement.

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III. Conséquences du refus sur le préavis

Exécution du préavis aux nouvelles conditions

Lorsque le salarié est licencié, il peut bénéficier d’un préavis, destiné à faciliter sa recherche d’un nouvel emploi. Cependant, si ce licenciement découle du refus d’un simple changement des conditions de travail, l’employeur peut exiger que le préavis soit exécuté dans les conditions récemment modifiées.

  • Le préavis ne sert pas à revenir aux anciennes conditions.
  • Le salarié doit se conformer aux nouvelles modalités durant cette période de préavis.

Perte de l’indemnité compensatrice de préavis en cas de refus d’exécution

Si le salarié persiste dans son refus, y compris durant le préavis, il se prive lui-même de l’indemnité compensatrice de préavis. Ce principe est bien établi en jurisprudence (Cass. soc., 25 novembre 1997, n°95-44.053 ; Cass. soc., 31 mars 2016, n°14-19.711).

  • Le salarié qui refuse d’exécuter le préavis aux nouvelles conditions est responsable de l’inexécution du préavis.
  • Il ne peut donc prétendre à l’indemnité compensatrice, logiquement destinée à compenser un préavis non travaillé à la demande de l’employeur, et non par la faute du salarié.

IV. Quid des autres indemnités ?

Indemnité de licenciement et congés payés afférents

La requalification de la faute grave en faute simple a des conséquences positives pour le salarié. Même s’il ne perçoit pas l’indemnité de préavis, il demeure éligible :

  • À l’indemnité de licenciement (légale ou conventionnelle)
  • À l’indemnité compensatrice de congés payés acquis avant le préavis

En revanche, les congés payés afférents au préavis non effectué ne lui sont pas dus, puisqu’ils découlent de l’exécution du préavis. Sans préavis travaillé, pas de congés afférents à cette période.

La Cour de cassation, dans l’arrêt du 23 octobre 2024, a ainsi partiellement cassé la décision d’appel qui accordait l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents. Le salarié, ayant refusé d’exécuter le préavis aux conditions imposées, en était responsable. Il a toutefois conservé l’indemnité conventionnelle de licenciement.

V. Sécurité juridique et prévention des litiges

Équilibre entre pouvoir de direction et droits du salarié

Le régime instauré par la jurisprudence tient compte de l’intérêt légitime de l’employeur à adapter l’entreprise, ainsi que de la protection du salarié contre les modifications contractuelles non consenties. Le droit du travail français maintient ainsi un équilibre :

  • L’employeur peut changer les conditions non essentielles du travail.
  • Le salarié doit s’y conformer, sauf atteinte à un élément essentiel.
  • En cas de refus injustifié, le salarié commet une faute, mais cela n’implique pas forcément une gravité extrême justifiant la suppression totale des indemnités de licenciement.

Le rôle du dialogue et de la transparence

La meilleure façon d’éviter les contentieux consiste à instaurer un dialogue franc et anticipé :

  • Pour l’employeur :
    • Expliquer clairement les raisons du changement
    • Vérifier qu’il s’agit bien d’un simple ajustement et non d’une modification contractuelle
    • Proposer, si nécessaire, des compensations ou aménagements pour faciliter l’adaptation du salarié
  • Pour le salarié :
    • Vérifier l’impact réel du changement sur ses droits contractuels
    • Demander des éclaircissements par écrit
    • Ne pas refuser sans analyse préalable et sans tenter une conciliation

VI. Conseils pratiques pour employeurs et salariés

Pour l’employeur :

  • Identifier si la modification relève du pouvoir de direction :
    • Le secteur géographique reste-t-il inchangé ?
    • La rémunération, la durée du travail ou la qualification restent-elles intactes ?
  • Communiquer tôt :
    • Envoyer un courrier décrivant les nouvelles conditions
    • Expliquer l’absence de modification contractuelle
    • Proposer un accompagnement ponctuel (prise en charge des frais de transport supplémentaires, par exemple)
  • Gérer la réaction du salarié :
    • En cas de refus, rappeler les obligations légales
    • Proposer une phase de discussion avant d’envisager le licenciement

Pour le salarié :

  • Analyser la nature de la modification :
    • S’agit-il vraiment d’une modification du contrat ou juste d’un changement d’affectation proche ?
    • Le temps de travail, la rémunération, la qualification ne sont-ils pas modifiés ?
  • Demander des précisions :
    • Écrire à l’employeur pour obtenir une confirmation écrite du caractère non contractuel de la modification
    • Solliciter l’aide des représentants du personnel ou d’un avocat en droit social à Versailles
  • Éviter le refus injustifié :
    • Peser le risque de faute
    • Se souvenir que le refus d’exécuter le préavis aux nouvelles conditions prive de l’indemnité compensatrice

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VII. Illustration par la jurisprudence récente

L’arrêt du 23 octobre 2024 (n° 22-22.917)

Dans cette affaire, un salarié, médecin psychiatre, devait partager son temps de travail entre deux localités situées dans le même département, à 17 km l’une de l’autre. Le contrat ne garantissait pas une affectation exclusive sur un seul site, et la rémunération comme le temps de travail n’étaient pas modifiés.

  • Le salarié a refusé ce changement, estimant qu’il s’agissait d’une modification du contrat.
  • L’employeur l’a licencié pour faute grave, mais la Cour d’appel a requalifié la faute en faute simple. Elle a cependant accordé une indemnité compensatrice de préavis.
  • La Cour de cassation a censuré cet aspect de la décision, rappelant que le salarié, responsable du refus d’exécution du préavis aux nouvelles conditions, ne pouvait prétendre à cette indemnité.

Cette solution n’est pas isolée. Elle confirme la cohérence d’une ligne jurisprudentielle qui s’attache à préserver l’équité : l’absence d’exécution du préavis, imputable au salarié, exclut l’indemnité compensatrice.

VIII. Questions fréquentes

  1. Le salarié peut-il contester la qualification de simple changement de conditions de travail ?
    Oui. En cas de désaccord, il peut saisir le conseil de prud’hommes, qui appréciera si l’employeur a réellement touché à un élément essentiel du contrat.
  2. Que se passe-t-il si la modification du lieu de travail impose un trajet beaucoup plus long ?
    Le juge examinera le critère de proximité géographique. Un déplacement dans un rayon raisonnable, dans le même département, est souvent considéré comme un simple changement. En revanche, un transfert éloigné géographiquement pourrait être vu comme une modification contractuelle.
  3. Le salarié peut-il percevoir l’indemnité de licenciement même en cas de faute simple ?
    Oui, la faute simple n’exclut pas l’indemnité de licenciement. Seule la faute grave ou lourde supprime le droit à cette indemnité.
  4. L’employeur peut-il imposer d’autres conditions (par exemple un passage aux horaires de nuit) ?
    Cela dépend. Si l’horaire reste dans les limites prévues par le contrat ou la convention collective, l’employeur peut ajuster. Sinon, il s’agit d’une modification du contrat, nécessitant l’accord du salarié.

Conclusion

Le régime du changement des conditions de travail en droit français pose un équilibre délicat entre le pouvoir de direction de l’employeur et la préservation des éléments essentiels du contrat de travail. Le salarié, tenu d’exécuter de bonne foi la prestation, ne peut refuser un changement mineur, comme un déplacement raisonnable du lieu de travail, sans risquer un licenciement pour faute.

Si la faute grave est écartée, le salarié conserve certaines indemnités, dont l’indemnité de licenciement, mais pas l’indemnité compensatrice de préavis s’il persiste à refuser d’exécuter ce préavis aux conditions modifiées. Cette solution protège la cohérence du système : le salarié ne saurait bénéficier d’une compensation censée pallier l’impossibilité de travailler, alors qu’il est lui-même à l’origine de cette impossibilité.

En définitive, la vigilance et le dialogue demeurent les meilleures armes pour prévenir les conflits. L’employeur veille à ne pas outrepasser son pouvoir de direction, tandis que le salarié se renseigne sur la nature du changement envisagé. Grâce à cet équilibre, chacun agit en connaissance de cause, ce qui limite les incompréhensions et les contentieux.