Prime d’objectifs et arrêt maladie : conditions et exceptions juridiques

Un arrêt maladie prolongé empêche-t-il le versement d’une prime d’objectifs ?

Principe général : sauf clause spécifique, une prime d’objectifs conditionnée à la réalisation d’une prestation de travail n’est pas due en cas d’arrêt maladie prolongé.

Jurisprudence constante : la Cour de cassation confirme que la suspension du contrat de travail exonère l’employeur du versement des primes variables [[Cass. soc., 20-11-2024, n° 23-19.352]].

Exceptions possibles : un accord collectif, une clause contractuelle ou un usage en vigueur dans l’entreprise peut prévoir le maintien de la prime malgré l’absence.

Le versement d’une prime d’objectifs à un salarié en arrêt maladie prolongé soulève de nombreuses interrogations. La question est d’autant plus sensible que ces primes, souvent liées à la performance, peuvent représenter une part substantielle de la rémunération.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 20 novembre 2024 [[Cass. soc., 20-11-2024, n° 23-19.352]], a rappelé un principe fondamental : sauf clause contractuelle ou conventionnelle spécifique, un employeur n’est pas tenu de verser une prime d’objectifs à un salarié dont le contrat est suspendu pour maladie.

Comment cette règle s’applique-t-elle concrètement ? Quelles sont les exceptions et les recours possibles pour les salariés concernés ? Cet article apporte un éclairage sur cette problématique.

1. Le principe : l’arrêt maladie suspend l’obligation de rémunération

1.1. La suspension du contrat de travail et ses conséquences

L’arrêt maladie d’un salarié entraîne la suspension du contrat de travail, ce qui signifie que l’employeur n’est plus tenu de verser le salaire, sauf si un maintien de rémunération est prévu par la loi, la convention collective ou le contrat de travail.

L’article L. 1226-1 du Code du travail pose ce principe :

« Lorsqu’un salarié est dans l’incapacité de travailler pour cause de maladie ou d’accident, son contrat de travail est suspendu. Pendant cette période, l’employeur n’est pas tenu de verser la rémunération, sauf dispositions plus favorables. »

Ainsi, les primes liées à l’activité et à la performance ne sont pas dues pendant l’arrêt, à moins qu’une clause spécifique n’en dispose autrement.

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1.2. La distinction entre les primes fixes et les primes variables

Les primes peuvent revêtir différentes natures, ce qui influence leur maintien en cas d’arrêt maladie :

  • Primes à caractère fixe (ex. prime d’ancienneté) → Elles ne sont pas impactées par l’absence si elles ne sont pas conditionnées à une présence effective.
  • Primes variables soumises à objectifs (ex. primes de performance) → Leur versement dépend de l’atteinte d’objectifs, ce qui implique que si le salarié n’a pas pu réaliser ses tâches, la prime n’est pas due.

La jurisprudence a maintes fois confirmé que si une prime est liée à l’accomplissement effectif d’une mission, elle ne peut être exigée en cas d’absence prolongée [[Cass. soc., 19-09-2018, n° 17-11.618]].

2. L’arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 2024 : une confirmation du principe

2.1. Les faits de l’affaire

Dans l’arrêt du 20 novembre 2024, une salariée a été placée en arrêt maladie prolongé à compter de janvier 2018. Après plusieurs années d’absence, elle a été licenciée pour inaptitude en février 2020. Elle a alors saisi la justice pour réclamer le paiement de primes d’objectifs correspondant aux années d’arrêt.

2.2. La décision de la Cour de cassation

Les juges d’appel avaient donné raison à la salariée en condamnant l’employeur à lui verser ses primes. Leur raisonnement ? L’entreprise n’avait pas fixé d’objectifs pour la salariée avant son arrêt de travail, ce qui rendait selon eux la prime intégralement due.

L’employeur a contesté cette interprétation, en arguant que l’absence prolongée empêchait toute réalisation d’objectifs et que la rémunération variable n’était pas due en cas de suspension du contrat.

La Cour de cassation a suivi cet argumentaire en cassant la décision d’appel :

« La prime d’objectifs, dès lors qu’elle dépend de la réalisation effective d’une prestation de travail, ne peut être exigée en cas d’arrêt maladie prolongé. » [[Cass. soc., 20-11-2024, n° 23-19.352]]

Cette décision réaffirme qu’en l’absence d’une clause de maintien spécifique, l’employeur n’est pas tenu de verser la prime à un salarié absent sur une longue durée.

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3. Quelles sont les exceptions et les recours possibles ?

3.1. Quand la prime peut-elle être maintenue ?

Si la règle générale est claire, il existe néanmoins des exceptions qui permettent au salarié de réclamer le paiement d’une prime d’objectifs :

Clause contractuelle ou convention collective : Certaines conventions prévoient un maintien de salaire, incluant la rémunération variable, pendant un arrêt maladie.

Usage en vigueur dans l’entreprise : Si l’entreprise a toujours maintenu cette prime à d’autres salariés en situation similaire, elle ne peut refuser ce versement sans justification.

Lien avec un manquement de l’employeur : Si l’absence prolongée du salarié est la conséquence directe d’un harcèlement moral ou d’un manquement à l’obligation de sécurité, la jurisprudence a admis que la prime peut être due malgré l’arrêt maladie [[Cass. soc., 23-09-2009, n° 08-44.061]].

3.2. Quels sont les recours pour le salarié ?

En cas de contestation du non-versement d’une prime d’objectifs, le salarié peut :

Vérifier les dispositions de son contrat et de sa convention collective pour identifier une éventuelle clause de maintien de salaire.
Demander à son employeur des précisions sur l’application des primes et leur mode de calcul.
Saisir le conseil de prud’hommes en cas de litige, notamment si l’entreprise a maintenu cette prime pour d’autres salariés mais refuse de la lui verser.

Conclusion : un principe consolidé, des exceptions à considérer

L’arrêt du 20 novembre 2024 s’inscrit dans une jurisprudence constante : une prime d’objectifs, dès lors qu’elle est conditionnée à la réalisation d’une prestation de travail, n’est pas due en cas d’arrêt maladie prolongé, sauf clause contraire.

Toutefois, chaque situation mérite une analyse approfondie. Une prime peut être maintenue si :
✔ Un accord collectif ou une clause contractuelle prévoit son versement malgré l’absence.
✔ L’entreprise applique un usage constant en ce sens.
✔ L’absence prolongée résulte d’une faute de l’employeur.

Dans un contexte de plus en plus protecteur des salariés, les entreprises doivent veiller à rédiger clairement leurs clauses de rémunération variable pour éviter toute ambiguïté. À défaut, elles s’exposent à des litiges pouvant coûter cher, tant sur le plan financier que réputationnel.

Enfin, pour les salariés, un conseil juridique avisé reste la meilleure approche pour défendre leurs droits et s’assurer du respect des dispositions légales et conventionnelles.