Nullité du licenciement d’une salariée enceinte prononcé sans délégation de pouvoir

Ce qu’il faut retenir sur le licenciement d'une salarié enceinte

  • La salariée enceinte bénéficie d’une protection légale contre le licenciement, tant pendant son congé maternité qu’en dehors, dans certaines conditions.
  • Cette protection interdit à l’employeur de rompre le contrat, sauf faute grave non liée à la grossesse ou impossibilité objective de maintien du contrat.
  • Le licenciement prononcé par une personne non habilitée, en l’absence de délégation de pouvoir, est nul dès lors que la salariée est protégée.
  • La nullité entraîne de plein droit le versement des indemnités de rupture, de dommages-intérêts forfaitaires d’au moins six mois de salaire, et du salaire pour la période d’éviction.
  • Les employeurs doivent vérifier scrupuleusement les habilitations internes, notamment dans les associations, sous peine de voir leur décision totalement invalidée.

La protection dont bénéficie une salariée enceinte contre le licenciement ne se limite pas à un principe de précaution. Elle constitue l’expression juridique d’un équilibre entre l’intérêt supérieur lié à la maternité et les impératifs de gestion de l’employeur. Cet équilibre, loin d’être symbolique, s’appuie sur des textes précis du Code du travail qui imposent une rigueur tant sur le fond que sur la forme.

Dans une décision récente, la chambre sociale de la Cour de cassation a réaffirmé la portée de cette protection en jugeant que le licenciement d’une salariée enceinte, notifié par une personne non investie du pouvoir de licencier, est non seulement irrégulier mais frappé de nullité absolue. Cette jurisprudence s’inscrit dans une volonté claire de sécuriser la situation juridique des salariées en état de grossesse et de sanctionner les employeurs, ou leurs représentants, qui méconnaissent les règles élémentaires de la délégation de pouvoir.

La protection contre le licenciement pendant la grossesse : un régime juridique articulé

Un principe général renforcé par deux périodes distinctes

Le droit du travail prévoit une double protection contre le licenciement de la salariée enceinte. Cette protection peut être qualifiée de relative ou d’absolue selon la période pendant laquelle le licenciement est envisagé :

  • Pendant la période de suspension du contrat liée au congé maternité (ainsi que les congés payés immédiatement consécutifs), la protection est dite absolue. Le licenciement est alors strictement interdit, qu’il s’agisse d’une notification ou de sa prise d’effet. Aucune exception n’est permise durant cette période, sauf faute grave non liée à la grossesse ou impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’état de santé de la salariée.
  • Hors période de congé maternité, c’est la protection relative qui s’applique. Elle interdit à l’employeur de rompre le contrat de travail à partir du moment où la grossesse est portée à sa connaissance, et ce jusqu’à dix semaines après la fin du congé maternité. Toutefois, cette interdiction souffre de deux exceptions : la faute grave non liée à la grossesse et l’impossibilité objective de maintenir le contrat.

Une protection directement inspirée du droit européen

Cette protection trouve son fondement non seulement dans le droit interne, notamment les articles L.1225-4 et L.1225-71 du Code du travail, mais également dans les directives européennes relatives à la sécurité et à la santé des travailleuses enceintes. Le respect du principe de non-discrimination, notamment en matière de rupture du contrat, implique une application stricte de ces dispositions, sans marge d’interprétation extensive de la part de l’employeur.

Le pouvoir de licencier : un acte juridique soumis à habilitation

La délégation de pouvoir : une condition impérative

Dans toute structure juridique, le pouvoir de prononcer un licenciement ne se présume pas. Il appartient à l’employeur ou à la personne qui en a reçu formellement le pouvoir. Cette exigence est encore plus forte dans les associations, où l’employeur n’est pas une personne physique mais un organe collectif, en l’occurrence le conseil d’administration.

Ainsi, lorsque le directeur d’une association notifie un licenciement sans disposer d’une délégation expresse et écrite du conseil d’administration, il agit sans pouvoir. Cet acte est alors juridiquement inopposable à la salariée. C’est cette situation qui a été soumise à l’appréciation de la Cour de cassation dans l’arrêt rendu le 12 février 2025.

Le défaut de pouvoir n’est pas une simple irrégularité procédurale

Jusqu’à récemment, la jurisprudence considérait que le licenciement prononcé par une personne non habilitée était simplement dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’inobservation des règles relatives à la délégation de pouvoir affectait donc la validité du motif économique ou disciplinaire du licenciement, sans remettre en cause la légalité de la rupture elle-même.

Dans le cas d’une salariée enceinte, la Cour de cassation franchit un cap. Elle ne se contente pas de qualifier le licenciement d’injustifié, mais le déclare nul. Cette évolution, très significative, traduit une volonté d’aligner le régime de la délégation de pouvoir sur l’intensité de la protection maternelle.

La nullité du licenciement : portée et conséquences pratiques

Une décision de principe

Dans l’affaire jugée le 12 février 2025, une salariée avait été licenciée pour faute grave par le directeur d’une association, alors qu’elle avait informé cette dernière de son état de grossesse quelques semaines auparavant. La lettre de licenciement n’émanait pas du conseil d’administration, seul habilité à prononcer une telle rupture, et aucune délégation formelle n’avait été établie.

La cour d’appel a jugé ce licenciement nul. La Cour de cassation a confirmé cette position, en se fondant sur la combinaison des articles L.1225-4, L.1225-71 et L.1235-3-1 du Code du travail. Elle a considéré que, dès lors que la salariée était protégée et que l’auteur de la rupture n’avait pas qualité pour agir, le licenciement était radicalement nul, peu importe que la faute grave soit ou non constituée.

Des effets indemnitaires automatiques

La nullité du licenciement entraîne l’annulation de ses effets et la remise des parties dans l’état antérieur à la rupture. En pratique, cela se traduit par :

  • Le versement des indemnités de rupture normalement dues : indemnité compensatrice de congés payés, indemnité de licenciement, préavis, etc.
  • L’allocation de dommages-intérêts, d’un montant minimum de six mois de salaire, en application de l’article L.1235-3-1 du Code du travail, indépendamment de l’ancienneté de la salariée ou de la taille de l’entreprise.
  • Le paiement du salaire correspondant à la période comprise entre la rupture et la fin de la période de protection, même en l’absence de demande de réintégration. Ce droit est reconnu par la jurisprudence, sans que la salariée ait à démontrer l’existence d’un préjudice distinct.

Une clarification bienvenue dans un contexte de réforme législative

Les ambiguïtés introduites par les ordonnances Macron

Les ordonnances du 22 septembre 2017, et notamment la réforme de l’article L.1225-71, avaient suscité de nombreuses interrogations. Certains arrêts avaient laissé penser que le droit au rappel de salaire en cas de licenciement nul pourrait être subordonné à une démonstration du préjudice subi, ou à une demande de réintégration.

La décision du 12 février 2025 met fin à ces doutes. Elle rappelle que la nullité du licenciement emporte de plein droit l’obligation de reconstituer la situation de la salariée pendant toute la période d’éviction, y compris le versement de son salaire.

L’intérêt pratique de cette clarification

Cette décision renforce la sécurité juridique des salariées protégées. Elle incite également les associations, mais plus largement l’ensemble des employeurs, à s’assurer que la personne qui signe la lettre de licenciement dispose effectivement du pouvoir de le faire.

Les implications pratiques sont importantes : une erreur de forme sur la qualité du signataire peut aujourd’hui suffire à faire tomber un licenciement, sans que le juge n’ait à se prononcer sur la réalité des faits reprochés.